Haute Route des Grisons

Ah… un petit tour à ski dans les Grisons sauvages juste juste avant la corona-vie!

Quel délice! Merci les amis!

Haute route des Grisons 2020

Bien que le romantisme lié aux adieux déchirants sur les quais de gare ait légèrement diminué depuis l'abolition des locomotives à vapeur, un départ en train vers l'inconnu reste toujours un événement particulier. Alors que chacun a minutieusement préparé son paquetage à la lueur vacillante des chandelles de son appartement lors de la nuit précédente, il s'agit maintenant de l'amener vers le lieu de rassemblement, là où l'aventure commence: la gare de Neuchâtel. C'est ici que tous les protagonistes de l'épopée qui va suivre se retrouvent dans la chaleur émanant d'une part des liens d'amitié déjà tissés par le passé, mais avant tout de l'enthousiasme d'en former de nouveaux lors de cette aventure.

C'est donc le sourire aux lèvres et le vent en poupe que Lucie, Silvio, Rolf et Olivier s'élancent du hall de la gare vers la voie 5 où l'ICN et l'aventure leur tendent les bras. C'est dans ce même ICN que les attend déjà votre humble narrateur qui lui a commencé son périple depuis une terre éloignée et mal connue des comparses Neuchâtelois: la Vaudoisie. De terribles histoires sont racontées aux sujets de ces contrées hostiles et des êtres qui les habitent. Malgré cela, tous ont eu le courage d'en accepter un ressortissant pour ce voyage et ce sans même le connaître. En effet, seule Lucie, que l'on appelle aussi Votre Altesse Sérénissime (VAS) de par sa position de leader incontestée de la course, a déjà été en contact avec lui. 'Il peut s'avérer utile en cas de famine ou pour chasser les loups' avait-elle asséné à ses compagnons pour les convaincre. C'est donc dans ce contexte que le quintet se retrouve dans un wagon de 2éme classe en partance pour la Suisse-allemande, pays des mangeurs de cailloux.

Une première halte à Zürich, l'occasion d'acheter un bretzel avant de remonter dans le train qui s'enfonce de plus en plus loin vers l'inconnu. L'entrée dans les Alpes Grisonnes se fait à la très charmante gare de Landquart, où là encore il faut changer d'attelage. L'arrivée à St-Moritz est pleine d'émotion car c'est ici que le rail s'arrête ; il faut achever les quelques lieues restantes du point de départ de la véritable aventure en bus postal. Tous s'émerveillent devant la beauté des paysages qui déjà les entourent, tout en remarquant un trait de caractère peu banal chez les autochtones: leur opulence apparente semble corrélée à leur âge. Juste après le col du Julier, enfin se dresse La Veduta, premier gîte et point de départ de ce qui, ne l'oublions pas, est un périple à ski et non en train. Une première bière au soleil finit de sceller la cohésion du groupe qui n'a plus qu'une chose en tête: mettre les peaux !

 

Après une première nuit de sommeil réparatrice, l'équipe se met en marche dans un épais brouillard. VAS en tête guide la colonne vers des horizons plus ensoleillés. L'ardeur des skieurs est telle qu'après peu de temps le brouillard se dissipe pour laisser place à un soleil éclatant dont la douceur baignera le reste de la journée. Après une montée somme toute assez brève, Hourra ! Le premier sommet est atteint moyennant une petite marche sur l'arête sommitale en neige. Du haut du Piz Surgonda, une bonne vue est offerte sur le Piz Traunter, deuxième objectif de la journée. Les flancs de ce dernier sont lacérés par des traces de terres et des cailloux, conséquences de la chaleur et du manque de neige qui ont marqués les jours précédents. Après concertation de ses acolytes, VAS décide de ne pas se lancer à l'ascension de ce mont mais plutôt de se concentrer sur les deux descentes à venir. La première, celle à ski vers la cabane, sera sous le signe du carton gelé qui a tout de même la décence de soutenir assez pour ne pas passer au travers. La deuxième, nettement plus joyeuse, se passe au chaud dans la cabane un verre à la main... Dans l'atmosphère joyeuse de la cabane Jenatsch, l'équipe profite du temps laissé par la petite journée de mise en jambe pour s'accorder une douce sieste. Cette dernière se révélera par la suite très utile au vu des événements qui se trament en ce moment même à l'insu de nos valeureux protagonistes étendus dans les bras de Morphée. C'est après le souper que la nouvelle est révélée par la douce voix aux intonations grisonnes de la cabaniste: la Suisse prend des mesures pour endiguer la menace d'un virus chinois lié à la consommation de chauve-souris. Les mesures imposent notamment l'arrêt des domaines skiables dès le lendemain et la fermeture des cabanes. Ce dernier point est crucial car sans cabane, la course se termine et tout le monde rentre à la maison, une éventualité inimaginable pour nos aventuriers. C'est donc l'esprit rempli de doute mais toujours le sourire aux lèvres que le retour au dortoir s'opère pour une bonne nuit de sommeil avant le départ pour une bien longue journée.

 

Le brouillard s'est installé comme prédit et il ne se dissipera pas avant longtemps. C'est dans cette ambiance que la longue transhumance commence les couteaux aux pieds. L'ascension mène tout d'abord au pied du Piz Jenatsch dont la descente du couloir était l'objectif initial de la matinée. En raison de la mauvaise visibilité et de la qualité de neige, le projet est malheureusement avorté. L'ardeur des sommets n'en reste cependant pas là, et c'est sur le sommet voisin, le Piz Laviner, que les amis jettent leur dévolu. Au lieu d'un couloir en neige celui-ci se gravit par une arête au pied de laquelle les skis sont déposés. Une petite ascension sans grande difficulté mais qui réchauffe le cœur des compagnons qui s'embrassent au sommet. Une fois les skis retrouvés, une longue descente s'amorce en direction de la vallée qu'il est encore impossible de distinguer dans l'épais brouillard. Il est fort ardu d'évoluer dans une telle purée de pois et bien que tous skieurs aguerris, les chutes sont fréquentes tant les mouvements de terrain sont indissociables du blanc environnant. Lorsqu'enfin la voie de chemin de fer est en vue, pas le temps de se reposer car une marche forcée attend nos protagonistes pour les emmener à la gare de Preda. Là, sortant petit à petit du brouillard apparaît un immense complexe industriel qui s'avère être le chantier de construction d'un nouveau tube au tunnel de l'Albula. L'équipe déambule ainsi dans cet univers désert et éteint où ils ne croisent que deux ouvriers esseulés dans cette immensité métallique. Un décor qui, sans qu'ils en aient conscience, semble une prémonition de ce qu'ils trouveront à leur retour à la vie neuchâteloise.

Le train arrive seulement quelques instants après l'arrivée en gare de notre troupe. Il est alors temps de s'installer quelques instants au chaud sur les banquettes pour profiter de ce qui serait selon certain l'un des plus beaux paysages ferroviaires. En arrivant à Bergün, la prédiction tant redoutée s'avère être vraie: toutes les remontées mécaniques sont fermées. Alors que l'itinéraire initial prévoyait une montée sans effort pour traverser en direction de la cabane Kesch, il faut désormais emprunter une longue vallée plate avant d'entamer une raide ascension jusqu'au refuge. Transformer une ascension sans effort et de la descente en du plat et de la montée est une nouvelle particulièrement dure à avaler pour ceux dont le plaisir du ski réside avant tout dans la descente. Afin de mieux apprécier la situation, une visite du buffet de la gare se profile. Réchauffés par le potage de la maison, le recours au service d'un taxi pour parcourir la première portion du trajet se discute. Tout s'arrange très facilement et un véhicule pour cinq matériel compris est organisé dans les quinze minutes par un chauffeur fort bien sympathique. Le trajet ainsi réalisé n'est certes pas très long comparé à ce qu'il reste à faire mais il évite tout de même quelques deux kilomètres de route sans neige sur lesquels un portage se serait imposé. Alors que la course reprend les skis au pied, tout le monde s'accorde à dire que les 25 francs qu'aura coûté ce trajet motorisé ont été extrêmement bien investis.

 

Le périple se poursuit d'abord au plat dans une petite vallée où se succèdent les hameaux et bâtisses isolées qui, en cette saison, semblent abandonnés du monde. Seul la trace qui mène toujours plus loin vers les montagnes rappelle que d'autres ont emprunté le même chemin il y a peu. Alors que les kilomètres s'accumulent, la déclivité commence enfin à augmenter pour finalement devenir une pente sur laquelle les peaux fartées pour se défaire d'une neige collante peinent par moment à adhérer. L'ascension se poursuit et commence à sérieusement entamer les réserves des comparses qui ne cessent de guetter au loin pour tenter d'apercevoir un signe avant-coureur du refuge tant désiré. Avec l'altitude, les arbres se raréfient alors que le brouillard lui se dissipe et laisse à nouveau apparaître le décor grandiose des monts enneigés de part et d'autre du chemin. La fatigue se fait sentir et l'écart commence à se creuser entre les amis pour qui l'effort commence à mettre les nerfs à fleur de peau. Cette tension grandissante s'illustre par le 'avance et m'emmerde pas' assené à VAS par l'un de ses camarades alors qu'elle tentait de le motiver à garder un rythme plus soutenu. Enfin, au loin un drapeau rouge à croix blanche apparaît, signe très probable de l'arrivée imminente à la cabane. Le cœur ainsi ragaillardi par cette vision d'espoir, la troupe redouble d'effort pour vaincre les quelques centaines de mètres restantes pour atteindre la cabane et la bière bien méritée. Après quelques mouvements de terrains douloureusement traitres tant la cabane semble à portée de spatule, tous se retrouvent enfin à l'entrée de la cabane Kesch. La joie de l'effort surmonté inonde le corps et l'esprit des aventuriers dont l'émotion est telle qu'ils peinent à retenir leurs larmes.  Le chef des lieux accueille chaleureusement la fière équipée et ne tarit pas d'éloge quant à l'ardeur dont chacun a fait preuve pour venir à bout de cette interminable journée. Après une bonne bière bien méritée, les discussions reprennent pour déterminer la journée du lendemain dont l'issue dépend de l'ouverture de la cabane Grialtesch. Fort heureusement, la décision du CAS est de fermer lundi ce qui permet de passer une dernière nuit à la montagne comme initialement prévu. Une bonne nuit de sommeil dans un petit dortoir bien douillet achève cette magnifique journée.

 

Bien que les péripéties de la veille se fassent sentir dans les jambes, c'est avec un sourire déterminé que tous se rassemblent au matin pour le petit déjeuner. Un dernier coup d'œil dans la salle de séchage du matériel et c'est le retour à l'immensité blanche qui entoure la cabane, maintenant libre de toute trace de brouillard. Au loin les nombreuses cordées qui se lancent à l'assaut du Piz Kesch sont visibles, chacune formant une petite chenille de taille variable. Direction nord où se dirige la troupe, toujours menée par VAS dans une forme olympique, il n'y a qu'un petit groupe qui bifurque bientôt dans une autre direction. C'est donc dans une neige vierge que s'élance la file indienne qui continue son périple vers Grialetsch et dont le premier objectif de la journée est un petit sommet sans nom au-dessus de la cabane. Bien que modeste de prime abord, cette montée transforme la longue descente de vallée plate en de magnifiques pentes nord qui ne demande qu'à être skiées. Ce choix d'itinéraire judicieux permet en outre d'admirer le Piz Kesch tout au long de la montée. Les cordées aux loin semblent un peu empruntées au pied de l'arête plâtrée par les neiges de la veille qui ont rendu son accès plus délicat.

Alors que le jour est déjà baigné par un soleil généreux, la troupe se prépare à la descente dans une fièvre grandissante. Tous ont envie de profiter de cet instant privilégié que représente ces pentes vierges sous un soleil éclatant à l'aube du retour à la civilisation qui, en l'occurrence, s'annonce mouvementé. La tension ainsi accumulée semble d'ailleurs peser sur l'un deux qui déclare 'nous allons par là non?' en pointant à l'exact opposé de l'objectif. Le départ se fait tout de même dans le bon sens et chacun profite de la descente qui se révèle être dans des conditions parfaites avec une belle neige poudreuse préservée des grandes chaleurs des jours précédents. Ceux pour qui l'intérêt du ski réside avant tout dans la descente sont d'autant plus comblés de pouvoir profiter d'une telle qualité de ski dans une haute route dont ce n'est malheureusement pas la qualité principale en règle générale.

Une fois le fond de la vallée atteinte, il est temps de remettre les peaux et de se préparer à une longue montée sous un soleil de plomb, de tout côté réverbéré par le blanc manteau de la montagne. La crème solaire est importante, d'autant plus que celle hâtivement achetée à St-Moritz fait aussi office de fond de teint, ce qui donne une mine excellente à la personne qui s'en enduit.  La chaleur est écrasante et la sueur vient vite tremper les habits des skieurs qui s'efforcent de garder le rythme donné par VAS, dont le métabolisme semble se galvaniser de la température ambiante plutôt que d'en souffrir.

L'équipe arrive péniblement en vue du Piz Grialetsch dont l'accès semble se faire par des pentes sud surplombées de corniches formées par les vents qui ont soufflés les jours précédents. Après concertation collégiale au sein du groupe, il est décidé de ne pas prendre de risques inutiles en tentant cette ascension, qui est remplacée par une descente vers la cabane. Après avoir une fois de plus profité d'une neige excellente en redescendant du col Grialetsch, tous se retrouvent devant la cabane dont ils savent qu'elle est leur dernier refuge alpin de l'aventure et peut-être même de la saison. Un accueil mi-figue mi-raisin attend la délégation neuchâteloise dans une cabane dont ils sont les seuls pensionnaires pour cette dernière nuit d'ouverture. En effet, la nouvelle de la fermeture n'enchante pas le responsable des lieux qui doit annuler toutes les réservations alors que la saison vient à peine de commencer. Malgré les événements, il s'avère être un hôte tout à fait sympathique et aidant avec le petit groupe de Romands bien seul dans le réfectoire. Il en va évidemment de même pour le grand dortoir où chacun peut choisir son coin, une situation rarement connue et il faut l'admettre, pas des plus désagréables.

 

Après une nuit de sommeil tranquille et reposante, c'est la grande forme dans le groupe dont l'envie de profiter encore un peu de la montagne est à son comble. Réunis devant la cabane, prêts au départ, tous savourent le soleil éclatant qui réchauffe déjà l'air et annonce une journée magnifique pour terminer l'aventure. L'objectif de la matinée est le Radüner Rothorn qui se grimpe par une montée efficace dont le groupe vient facilement à bout, poussés comme ils le sont par la joie que procure ces instants privilégiés. La vue du sommet sur les alentours est une fois de plus saisissante et les félicitations sont chaleureuses entre les membres de l'équipe qui fêtent leur dernier sommet de la traversée.

La descente en direction de Davos s'avère moins enneigée qu'escompté et les cailloux sont nombreux. C'est l'un d'entre eux, particulièrement vicieux, qui caché sous une fine couche de neige, attaque un skieur alors que le danger semblait passé. Heureusement la hardiesse et la ténacité de la victime lui permettent de continuer la descente sans difficulté, quoique privé de l'un de ses bâtons. Après une courte remontée, il reste un obstacle rocheux qu'ils franchissent par une petite langue de neige qui subsiste. En contrebas apparaissent les premiers chalets qui annoncent le retour à la civilisation et forment en cette belle journée une vision fort pittoresque. La fin de la descente se fait sur une neige de qualité variable à flanc de coteau pour réduire au maximum la distance qu'il incombe de parcourir à plat. C'est ainsi qu'après seulement quelques centaines de mètres de skating, apparaît le signe qui annonce la reconnexion au réseau de transports publics.

Avec la montée dans le bus c'est un long retour qui commence en direction de la Romandie durant lequel, grâce au retour de la couverture mobile, chacun a l'occasion de prendre la mesure de la tournure actuelle des événements. Bien que de nombreuses questions occupent l'esprit des voyageurs, c'est le cœur et les yeux remplis de la beauté de ces quelques jours partagés dans les confins du pays qu'ils entreprennent le voyage qui les ramènera chez eux. C'est l'occasion de partager une dernière fois de belles discussions entre amis, qui sérieuses ou déjantées et autant sur les skis que dans une cabane ou un train sont un des instants qui auront largement participé à rendre cette course aussi plaisante qu'inoubliable.

 

Sylvain