Comment le camp 3 est posé

Camp de base de l'Istor-O-nal, samedi 12 août 2000

La pluie crépite sur la toile des tentes et l'ambiance est maussade. La météo semble s'opposer à notre avancée et les malheureux audacieux montés hier au camp 2 doivent redescendre aujourd'hui devant la neige tombée en abondance.

Pourtant tout avait l'air de prendre bonne tournure ces derniers temps malgré les volutes de brouillard accrochées à la montagne et une fine neige de condensation tombant en permanence au-dessus de 5500 m. Suivant le désir de relève de l'équipe de tête, André et Doc d'abord, Jean-Claude et moi le lendemain, sommes montés au camp 2, dans l'espoir de faire ( encore!) des portages pour consolider le C2 ainsi que d'établir le C3.

Cette première nuit en altitude s'avérera difficile... La sensation d'étouffement qui vous prend à tout moment, angoisse le dormeur d'altitude débutant, le pousse à détendre tous les élastiques de son sac de couchage, à reprendre son souffle comme un Mayol au retour d'une plongée et le laisse haletant, malheureusement réveillé et doutant du fait qu'il préfère la montagne à la mer.

Ce sentiment de doute est renforcé dès le matin avec le givre qui tombe en cascade sur le visage au premier éternuement et avec l'exiguïté de la tente alliée à la carrure imposante de votre voisin.

Je suis sûr que Jean Ferrat n'a pas eu ce genre d'expérience avant de chanter "Que la montagne est belle".

Mais les besoins impérieux de la nature poussent toujours les hommes à sortir de la tente, et une fois sortis, le froid les pousse à l'action. Voilà la raison qui amène les hommes au sommet des montagnes.

Pour nous, la neige arrêta net nos velleités et nous permit de jouer aux cartes toute la journée, à cinq dans une tente deux places!

Cris et gémissements ne firent pas venir le soleil, et nous repartîment au lit pour une nuit d'apnée.

Le mardi 8 août, fort d'une motivation à toute épreuve, Jean-Mi nous emmena dans son "jardin" (l'arête N) pour pousser un peu plus loin ces travaux natatoires qui devaient nous mener sur une selle propice à l'établissement du camp 3. Maniant ses piolets en tous sens, sarclant, bêchant, il ouvrit un chemin entre ciel et neige sur cette formidable arête, aérienne, cornichée et ... difficile.

Son énergie, pour insondable qu'elle soit, dû pourtant s'avouer momentannément vaincue par le jour déclinant. Frissonnants dans l'attente au relais, Doc et moi vîmes avec soulagement l'heure du retour sonner.

Au lendemain, affaiblis par les efforts de la veille, nous repartîmes travailler, bientôt suivis de Jean-Claude et d'André. Nos sacs, de par leur contenu, attestaient de notre espoir d'établir le camp 3 et d'y dormir, en tout cas pour le représentant du corps médical et pour l'éternel blessé.

Jean-Mi parti se reposer, c'est à moi de négocier la dernière difficulté, constituée d'une pente de neige allant de raide à plus raide.

Equipé en glacionaute, je m'engage dans la pente et cherche la glace, l'amie du grimpeur. Elle me montre sa sympathie au début, par de rares apparitions sous la neige abondante, mais disparaît bientôt, me laissant me débrouiller et nager sans la bouée que je ne manque jamais d'utiliser lors de mes rares tentatives aquatiques.

Parvenu sur un "replat" en haut de la pente, je vacille quelques mètres et creuse un trou dans lequel je m'effondre pour servir de point d'ancrage au Doc. Celui-ci, chargé qu'il est, tire sans vergogne sur la corde. Il débouche enfin, je grelotte, il rigole. Vingt mètres plus loin, un emplacement nous paraît propice et nous dégageons à la pelle une plateforme pour la tente.

Passons sur le fait que l'un de nous deux a dû redescendre chercher la tente oubliée deux longueurs de corde plus bas, l'important est que nous nous glissons bientôt dans la dite tente et nous préparons sans enthousiasme à une longue nuit. Pendant que nous y sommes, passons aussi sur la dite longue nuit.

Le jeudi matin nous voit assez contents de glisser le long des cordes fixes, faire une rapide halte au camp 2 et repartir sur le long fil d'Ariane qui nous relie au camp 1 et ses altitudes plus horspitalières. Le Doc finira même au camp de base sa longue descente, heureux peut-être de changer de T-shirt...

Antoine Brenzikofer